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« Joker : folie à deux », de Todd Phillips : l’hymne à l’amour de Lady Gaga et Joaquin Phoenix

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
La sortie du premier Joker, en 2019 – portrait d’un écorché sociopathe évoquant L’Homme qui rit (1869), de Victor Hugo –, avait prouvé avec un certain brio que l’encéphalogramme des films de super-héros n’était pas systématiquement plat. Le succès de cette expérience à la noirceur revigorante avait rapporté à la Warner plus de 1 milliard de dollars. Il est rare qu’une telle martingale reste sans suite à Hollywood, où, pour être poètes, les producteurs n’en restent pas moins des hommes d’affaires. C’est ainsi que le réalisateur Todd Phillips revient aux commandes en triplant le budget du film pour trois fois moins d’action que le précédent. Joker : folie à deux est une comédie musicale claquemurée en studio où le prolo bipolaire Arthur Fleck, alias le Joker (Joaquin Phoenix), et son nouvel amour, l’érotomane Lee Quinzel, alias Harley Quinn (Lady Gaga), passent le plus clair de leur temps à pousser la chansonnette.
Singulier retour, donc, de la compétition vénitienne pour cette « folie à deux » qui y a visiblement partagé les avis, s’apprête à décontenancer les fans hard-core, et n’est pas loin de nous enchanter. Comment faire durablement confiance, aussi, à un auteur de comédie loufoque tel que Todd Phillips, capable de mettre un tigre dans une cuisine de Las Vegas et un Chinois ivre de rage dans le coffre de votre voiture (Very Bad Trip, 2009) ou d’entamer ce nouveau Joker par une bizarre séquence animée confiée au Français Sylvain Chomet ? Joker : folie à deux – rassurons les puristes – n’en reste pas moins un film malaisant, bien bien barré, et qui fait vraiment peur, mais de la manière la plus étrange et détournée qui soit.
Hâve, contrefait, probablement neuroleptisé jusqu’à la moelle, Arthur Fleck purge sa peine dans le sinistre asile d’Arkham, sadisé par des gardiens qui lui rendent des points de monstruosité (Brendan Gleeson, en colossale raclure). Il faut imaginer l’acteur s’en donner à cœur joie dans la pure expression de cette déficience et de cette claustration, sans une ligne de dialogue. Soigneusement cadenassé dans les limbes de ses rêves de grandeur et de revanche, où il apparaît en vedette de la scène, l’avorton et quintuple tueur attend, mutique, son heure, dans une imperceptible ébauche de sourire qui fait craindre le pire. Il la trouve, cette heure, en un regard, alors que le garde-chiourme le fait passer devant une pièce où se tient un atelier musique réservé aux détenus.
Une fille au teint malsain, aux cheveux blonds sales et aux yeux magnétiques rive son regard au sien et, mimant un pistolet sur sa tempe, l’hameçonne, le transperce, le conquiert. Il brûle de la revoir. Elle vient, dit-elle, de mettre le feu à l’immeuble de ses parents, rien de plus normal, et elle va, c’est écrit sur ses lèvres, le manger tout cru, à moins qu’il ne la démantibule avant. Il s’agit, bien sûr, de la redoutable Harley Quinn, dont la star Lady Gaga, choix de casting décisif, donne ici une version pulsionnelle, aux frontières du poisseux, très éloignée, et autrement plus saisissante, que celle, acidulée et pétulante, de Margot Robbie dans Birds of Prey (2020), de Cathy Yan.
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